|
Naissance - Yann Moix - Prix Renaudot 2013 - Roman
La naissance ne saurait être biologique : on choisit toujours ses parents. Naître, c'est semer ses géniteurs. Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Laisser son sang derrière, s'affranchir de ses gènes. Chercher, trouver d'autres parents : spirituels. Ce qui compte, ce n'est pas la mise au monde, mais la mise en monde. Naître biologiquement, c'est à la portée du premier chiot venu, des grenouilles, des mulots, des huîtres. Naître spirituellement, naître à soi-même, se déspermatozoïder, c'est à la portée de ceux-là seuls qui préfèrent les orphelins aux fils de famille, les adoptés aux programmés, les fugueurs aux successeurs, les déviances aux descendances. Toute naissance est devant soi. C'est la mort qui est derrière. Les parents nous ont donné la vie ? A nous de la leur reprendre. Le plus tôt possible. ExtraitJ'allais naître. Pour moi, l'enjeu était de taille. Si c'était à refaire, je naîtrais beaucoup moins - on naît toujours trop.- Il surnaît ! s'était indigné mon père à ma sortie des viscères maternels. On devrait arriver en silence, faire son entrée sur la pointe des pieds. Se faire oublier d'avance. On n'est jamais si prétentieux qu'en naissant. Il n'y a pourtant pas de quoi : mon père, lassé par un jeu télévisé où des vachettes locales entraient en excitation sous les huées d'un parterre de campeurs méchants, s'était dirigé, braguette ouverte, vers la salle de bains où ma mère glissait du fil dentaire entre deux douloureux chicots. Il avait soulevé le tulle de sa nuisette rose praline, s'était frayé un passage dans la pilosité de sa femme puis, entre deux râles de marcassin balancé sur une ligne haute tension, avait dégoisé des insanités en la secouant comme un flipper. Mouillé comme une éponge, rouge comme un chasseur de perdrix compressé dans son gilet après une dégustation de pomerol, il vérifia l'exagération de ses propres grimaces dans la glace, propulsa dans les entrailles de ma mère changée en cyclotron un jet de spermatozoïdes fusant à la vitesse des quarks, puis s'affaissa sur elle tel un figurant de film de guerre au coup de sifflet. Il était minuit. Pagination : 1152 pages Format : 24 x 15,4 x 5,4 cm Catégorie(s) > Librairie > Romans
> Retour |