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Voyage égoïste (le)
« Un jeune homme que je connais donna rendez-vous à sa jeune amie au seuil d'un métro, et s'élança dés qu'il la vit paraître, mette sous son costume tailleur, le cou deux fois ceint d'une écharpe, la petite cloche plus bas que les yeux, le cheveu invisible, la nuque rasée, l'ocre et le carmin sur la joue : "Enfin, c'est toi !" C'était une autre, pareille. Une deuxième jeune femme réglementaire issant de l'abîme, le jeune homme s'élança derechef vers la cloche, la joue, l'écharpe, les bas, il lui fallut essayer trois jeunes femmes pour qu'il tombât, si j'ose écrire, sur la bonne. Corrigé, il accueillit sa véritable amie avec une froide réserve, et tandis qu'elle l'en gourmandait à voix haute, il l'authentifiait encore un peu halluciné : "un grain de beauté sous l'?il, bon, et des pendeloques vert-jade aux oreilles, et quatorze bracelets de verre au poignet, je me souviendrai". Mais au même instant on lui marcha sur le pied : une voix féminine, qui sortait d'un petit chapeau-cloche, lui dit "pardon" (...) Alors, il se pencha, mordit la belle joue de son amie trop anonyme, et l'emmena, marquée de frais, comme la génisse élue du troupeau. » Avec son immense talent, Colette, dans "Le Voyage égoïste", nous fait découvrir le « monde » des années 1920 et ses modes. Nombre de pages : 128 Catégorie(s) > Librairie > Passage sur classiques... > Romans - Essais - Philosophie > Colette
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